lu par MARIE LUSSIGNOL :
Il y a très longtemps, un château s’élevait très haut au dessus d’une immense forêt. Pour qu’il puisse aller encore plus haut vers le ciel, son Seigneur avait demandé à ses architectes de construire quatre tours si fines et si hautes qu’il arrivait parfois, par les jours de mauvais temps, qu’elles disparaissaient dans les nuages. Surmontées chacune d’un toit en pointe d’ardoises grises et brillantes où se reflétaient toutes les couleurs du ciel, elles étaient comme quatre flèches pointées vers l’infini. Elles étaient toutes disposées aux quatre coins du château, reliées les unes aux autres par des remparts crénelés qui surplombaient les murs de la forteresse.
Des quatre tours, il y avait celle du nord, la plus élevée : à son sommet, des soldats se relayaient pour surveiller l’horizon de toutes intrusions des ennemis (mais il n’y avait jamais d’ennemis), ou pour s’assurer que rien, aucun incendie ou aucune circonstance malheureuse, ne vienne perturber l’harmonie des lieux qui dépendait en grande partie de la forêt. C’est en effet dans cette forêt que le Seigneur du Château avait tiré la plupart de ses richesses, celles des terres, des clairières et des lisières dont les terres abondantes fournissaient tellement de fruits et de légumes que leur production, dépassant largement les besoins du château, en avait assuré la prospérité : Le Seigneur nourrissait toutes les âmes de son pays, sa richesse lui avait permis de construire d’autres châteaux dans toute la contrée, où logeaient aujourd’hui tous les membres de sa grande famille, ses oncles, ses tantes, ses cousins et ses cousines, ses neveux et ses nièces...
La sagesse et la bonté du Seigneur étaient grandes. Grâce à lui, le pays vivait dans la paix et l’abondance. Il n’y avait ni pauvres ni affamés, tous les hommes et les femmes vivaient au service de leur Seigneur et de tous. Ils recevaient en échange tout le nécessaire pour mener une vie heureuse. Le Seigneur était aimé et respecté, sa Seigneurie était un modèle de royaume terrestre, un si bel exemple que cet amour et ce respect étaient partagé par tous ceux qui le connaissaient, même ceux qui vivaient dans les contrées lointaines. Ils l’appelaient le Roi.
La tour du sud était tournée vers les jardins du château qui s’étalaient jusqu’au pied des remparts. Des massifs de fleurs de toutes les couleurs, merveilleuses et parfumées, bordaient les étendues de pelouses qui couraient au loin et tout le long d’une rivière, celle que longeait le chemin qui accédait au château, et qui aboutissait au pont-levis qui marquait la seule entrée de l’extérieur.
La tour de l’est était parfois occupée par les hommes qui étaient en charge des animaux : C’est de ce côté que s’étendaient les pâturages où vaches, chevaux, moutons et chèvres gambadaient librement, dans les limites d’un enclos immense avec, à ses extrémités, quelques granges et quelques étables pour les nuits paisibles de toutes ces bonnes créatures.
Du sommet de la tour de l’ouest, on pouvait voir au loin, au-dessus des derniers arbres de la forêt, la mer lointaine dont la ligne bleue se confondait avec le ciel. Derrière ses murs, creusés d’une seule trouée qui offrait une vue merveilleuse au couchant, vivait un poète. On disait de lui qu’il était l’ami du Roi, que tous les deux, nés à quelques jours d’intervalle seulement, avaient vécu ensemble toute leur enfance. Le poète était né orphelin : sa mère était morte à sa naissance, alors que son père avait succombé quelques mois plus tôt d’une étrange maladie. Les parents du Seigneur, qui avaient beaucoup aimé les parents de ce malheureux petit garçon, décidèrent aussitôt de l’adopter. Le roi et le poète grandirent dans la joie et l’amitié, que le temps n’altéra jamais.
Enfant, le poète était différent des autres. Plutôt que de jouer à la guerre avec ceux de son âge, il préférait rêver longuement dans la solitude. Déjà, il aimait monter au sommet des tours ou au faîte des arbres. Il contemplait le ciel et écoutait le souffle du vent, le bruissement des feuilles et le chant des oiseaux. Lui-même restait toujours silencieux car une nuit, quand il était encore très petit, il avait vu dans un songe un ange venu lui dire, au creux de son oreille, que le vent lui chanterait un jour la voix de sa mère venue du paradis.
C’est alors qu’il choisit d’aller grimper au sommet du plus grand arbre, pour s’éloigner du bruit du monde et se rapprocher du ciel. Il y a allait ainsi tous les jours et, effectivement, il n’eut pas trop à attendre avant d’entendre le chant de sa Maman bien aimée. C’était bien elle, car elle s’adressait toujours à lui et l’appelait « mon enfant ». Elle lui chantait des mélodies douces et joyeuses. Le cœur du petit garçon se gonflait d’amour et de joie. À chaque fois, ce chant durait de longues minutes, il plongeait l’enfant dans l’émerveillement des beautés du monde, du ciel et de la terre qu’il contemplait. Mais au bout d’un temps toujours trop court pour lui, le chant s’envolait, la présence de sa mère s’évanouissait, le petit garçon se retrouvait seul et triste.
Le Roi et Seigneur était son ami. Notre petit garçon lui ouvrit son cœur. Il lui dit à quel point le chant de sa mère l’enivrait d’amour et de beauté, et la séparation d’avec elle le faisait à chaque fois pleurer de tristesse. Le Roi et Seigneur l’écouta. Puis il le regarda longuement, étonné et ému, avant de lui adresser la parole :
– Ce que tu m’as raconté est tellement beau ! Tu as bouleversé mon cœur ! En un instant, j’ai saisie plus fort que je ne l’avais jamais ressentie la beauté de la vie, de la nature et de la terre, la force de l’amour qui nous relie tous, et la tristesse que tu éprouves. On ne m’avait jamais parlé comme cela, dit-il encore.
Car ce jeune prince avait une grande âme et, comme nous l’avons dit au début de ce conte, une grande sagesse qui n’avait pas attendu l’âge. Il avait compris la profondeur et la sensibilité de son ami, il avait en même temps compris que celui-ci était un poète, celui qui est capable de révéler et de transmettre la beauté, qui fait chavirer et grandir nos cœurs. Il comprit que son ami avait un don très précieux, et qu’il était important pour lui, comme pour tout ceux autour de lui, qu’il se consacre à dire et écrire la beauté et l’amour. Il lui dit alors :
– Je te donne ma tour de l’ouest. Celle qui s’élève vers l’infini de la mer, celle qui se tourne vers le couchant, là où chaque soir, le soleil embrase la terre d’un immense baiser d’amour. Tu feras de son point d’observatoire le plus élevé celui de ta quête. En haut de la tour, tu contempleras la nature. Tu entendras tous les murmures du vent, tu suivras le vol joyeux des oiseaux, tu verras la canopée de la forêt onduler comme les vagues de l’océan. Les nuages, parfois, t’apporteront les baisers du ciel, ce seront ceux de ta mère. Là haut, tu seras toujours auprès d’elle, tu l’entendras te chanter à toutes heures. Alors, ton cœur sera moins triste, il sera comblé par toutes les beautés. Tu trouveras le bonheur pour toujours.
Tout en parlant, le jeune roi avait levé la tête vers le sommet de la tour et, lorsqu’il eut fini, il tourna son regard vers son jeune ami. Les yeux de celui-ci étaient remplis de larmes, qui coulaient abondamment sur ses deux joues comme deux petits ruisseaux de montagne. Il lui répondit alors :
– Comment te remercier mon Seigneur et mon roi ? tu as lu dans mon âme, le cadeau que tu me fais, la confiance dont tu m’honores sont des grâces et des bénédictions. Je vais faire comme tu m’y invites. Je vais aller habiter au sommet de la tour, je crois que comme cela, je serai plus proche de ma mère, de sa tendre chaleur. Grâce à elle, j’écrirai ses chants sur le papier, ils formeront des belles histoires et des contes. À chaque fois que j’en aurai fini un, je redescendrai en bas du château, je reviendrai te voir, et je te le lirai.
Le poète écrivit de nombreuses histoires. Chacune d’entre elle lui était soufflée par sa mère qui, des cieux, ne manquait jamais de venir lui chanter les beautés et l’amour de son cœur. Le Roi organisait ensuite de grandes et longues soirées au cours desquelles le poète, et aussi les femmes et les hommes qui le voulaient, lisaient ses histoires. Tous étaient remplis d’émotion et de bonheur en écoutant tant de poésie qui coulait comme des rivières de lait et de diamant.
L’histoire rapporte que le poète et le roi vécurent longtemps, et qu’ils restèrent amis jusqu’à leur mort. Comme leur naissance, celle-ci ne fut séparée que de quelques jours. Le poète mourut en premier et, lorsque le Roi gagna le paradis à son tour, on dit que c’est son ami le poète qui l’attendait à la porte du ciel, assis sur un petit nuage blanc.
Et voilà, l’histoire est finie. Il est temps maintenant d’appeler tous les anges et les bonnes fées pour t’envoyer la poudre d’or, celle qui endort les petits, et les grands !
À bientôt !
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