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LA FEUILLE D'OR

lu par MARIE LUSSIGNOL :





Conte pour les très jeunes filles

La vois-tu cette jolie petite maison de bois, aux volets bleus et au toit de chaume brune, avec sa cheminée qui dégage une fumée blanche et chaude ? Celle qui est au bout d’un grand jardin de pelouse tendre, fendue en son cœur d’un chemin de terre qui sinue comme une rivière capricieuse jusqu’à l’entrée de la maison ? Elle est à l’orée d’une forêt qui, dit- on, est la plus grande et la plus vieille du monde. Cette forêt est si belle et si dense que les hommes n’ont jamais osé y pénétrer trop loin, de peur de s’y perdre, et aussi par respect pour la beauté de ses arbres innombrables qui s’élèvent si haut vers le ciel que les rayons du soleil peuvent à peine transpercer leurs feuillages altiers. Même au cœur de l’été, la lumière est si faible et les moments de clarté si rares qu’on a l’impression qu’il y a fait nuit presque tout le temps.

Dans cette maison habite une jeune fille qui porte le joli prénom d’Églantine. À sa naissance, ses parents lui ont choisi ce nom pour rendre hommage aux fleurs qui ornent les massifs, les platebandes et les haies qui entourent la maison et qui s’évadent jusqu’à la forêt. La beauté du nouveau né, le teint frais de son visage, la délicatesse de ses traits et la douceur de ses yeux bleus ont probablement influencé leur choix. Églantine n’est pas très grande pour son âge, mais sa fine silhouette dégage une grâce merveilleuse, ses longs cheveux blonds ornent son front et ses épaules comme des cascades d’or, et le doux éclat de son sourire dégage un charme inexprimable.

Aujourd’hui, Églantine a dix huit ans. Ses parents n’ont pas eu d’autres enfants et si, au début, ils étaient tristes de ne pouvoir lui donner un petit frère ou une petite sœur, leur fille unique a tellement illuminé la petite famille de sa gentillesse et de sa gaité qu’ils ont oublié tout chagrin. Tous les garçons du village sont amoureux d’elle et moi qui te raconte cette histoire, je le suis un peu aussi, tant elle est belle et que son cœur est bon.


Mais ce cœur, Églantine ne l’a donné à personne. Elle attend. Elle sait que l’amour est une chose trop sérieuse pour l’éparpiller au premier vent, ou au premier sourire des garçons enjôleurs qui se rapprochent d’elle. Elle sait profondément dans son âme et dans son corps qu’un jour, elle le rencontrera vraiment. Il suffira d’un sourire, d’un mot et d’un regard pour qu’elle reconnaisse celui que son cœur attend. De cela, Églantine en est profondément certaine, et si vous continuez de lire ou d’écouter cette histoire, vous comprendrez bientôt pourquoi.

Parce qu’il y a la forêt. Déjà, toute la nature dont les beautés illuminent la vue de la fenêtre de sa chambre. Églantine est émerveillée par la splendeur du soleil, des ciels d’azurs peuplés de géants muets et blancs qui, poussés par le souffle de Dieu, glissent en silence sous la voûte céleste. Elle le sait, les nuages sont les chevaliers majestueux qui protègent ce monde des hommes d’autres vents trop froids ou trop violents qui, venus du fond de l’univers, viendraient anéantir nos vies à jamais. Et la forêt.


Depuis sa toute petite enfance, Églantine sait à quel point la beauté sculpturale de ses arbres, de leurs troncs, de leurs branches magnifiques et de leurs feuillages abondants l’attirent et la subjuguent. Au cœur de cette immensité d’arbres et de plantes sauvages, il y a un mystère qui lui parle. Car elle sait qu’il y a quelque part, derrière des milliers de chênes, de hêtres et de bouleaux, une clairière magique.

Cette clairière, aucun homme n’a jamais osé s’éloigner suffisamment de l’entrée de la forêt : elle n’a jamais été découverte. Mais elle, elle sait. Parce qu’une nuit, un rêve a réveillé Églantine. Il était si beau et si fort qu’une petite voix lui a dit, à l’intérieur de sa tête, qu’il fallait qu’elle se réveille pour ne pas l’oublier. À demi endormie, découvrant la blancheur de ses belles dents dans un grand bâillement, Églantine a refait défiler dans sa tête toutes les images et toutes les émotions de son rêve pour ne pas les oublier.


C’était au cœur de la grande forêt. Il y avait une vaste plaine verte couverte d’herbes hautes qui penchaient au vent doux du soir. On aurait dit qu’elles s’inclinaient pour rendre hommage à l’arbre imposant et magnifique qui s’élevait au centre de la plaine. Ses feuillages se déployaient vers le ciel et formaient un arc abondant et généreux d’une verdeur offerte comme une poignée de fleurs vers le ciel, tandis que des oiseaux de toutes les couleurs, égayés dans une pluie de branchages, chantaient des cris de joie.


Tout autour de cet arbre, une haie d’églantines déployait ses fleurs ouvertes au parfum d’un élixir délicieux, leurs racines s’enfonçaient dans la terre en nouant des liens aussi étroits que des mains d’amoureux avec celles de l’arbre géant. Églantine comprit tout de suite qu’il s’agissait de sa forêt, celle dont les ombres se couchaient le soir sur le toit de sa maison. Et elle comprit en même temps qu’il y avait, en plein milieu de cette forêt, cette clairière merveilleuse dont personne ne lui avait jamais parlé, parce qu’aucun homme n’en connaissait l’existence.

Cet arbre avait un secret. Et ce secret, Églantine en avait reçu la clé pendant son rêve. Là haut, assis sur branche, un jeune garçon regardait l’étendue de la terre qui, derrière les frondaisons, lui offrait l’immensité de tous ses paysages. Ce petit prince, isolé des hommes, était en pleine contemplation de la beauté du monde.


Le rêve n’avait pas dit à Églantine qui était ce petit garçon, ni d’où il venait, et encore moins depuis quand il était assis là, dans cet arbre. Il devait avoir neuf ou dix ans. Il était encore bien petit, si léger qu’il pouvait s’asseoir sans danger sur une des branches les plus fines de l’arbre. Il était si frêle que nul n’aurait pu distinguer sa silhouette de près ou de loin, pas même les rapaces à l’œil perçant.

Parce qu’elle faisait un rêve, là où l’esprit voyage et traverse toutes les frontières, elle comprenait ce qui se passait dans le cœur du petit garçon. Il attendait, probablement depuis déjà bien longtemps. Il fixait l’horizon et le ciel, et s’il était monté le plus haut possible au sommet de l’arbre, c’était pour pouvoir tourner la tête tout autour de lui pour que son regard embrasse toute la terre, qu’il aille loin, loin, pour tout voir.

Pendant qu’Églantine rêvait, un ange descendu de la nuit étoilée s’était penchée au dessus de son lit. Il lui chuchotait à l’oreille des mots mystérieux, d’une voix silencieuse au souffle argenté. C’est ainsi qu’elle comprit ce qu’attendait le petit garçon. Une nuit, pas très éloignée non plus de celle de son propre rêve, lui-même avait reçu dans son sommeil la visite de l’ange. Il avait entendu des paroles merveilleuses, celles du poème de la beauté, de l’amour et de la vie éternelle.


Ce petit garçon qui aimait très fort sa maman, avait compris que celle-ci, partie au ciel d’une maladie mortelle, continuait de penser à lui. Il n’attendrait pas longtemps, lui avait-elle dit, pour qu’il rencontre une jeune fille qui consolerait son cœur. Elle serait si belle et si bonne, parce qu’elle donnerait chair à la beauté et à l’amour, et qu’ils voyageraient ensemble pendant toute leur existence vers le pays de la vie éternelle.


Pour briser sa solitude, impatient de voir venir cette jeune fille merveilleuse, le petit garçon avait décidé de quitter sa maison, située exactement de l’autre côté de la forêt que celui où habitait Églantine. Guidé par la voix de l’ange, il n’avait pas hésité en entrant dans l’immense forêt. Il avait marché et marché et marché, remontant des chemins de terre, et en suivant une procession de petits oiseaux qui, par leur vol rapide et leur chant joyeux, lui montraient la voie.


Combien d’heures, combien de jours marcha t’il ? Quant il était fatigué, il s’arrêtait au pied d’un arbre et s’allongeait sur la mousse, il recouvrait son petit corps des feuilles qui jonchaient le sol, et s’endormait dans la chaleur de la terre. Les oiseaux restés prêt de lui le réveillaient quand ils savaient qu’il avait récupéré assez de forces, et il reprenait son chemin. Il marcha longtemps, mais sans jamais avoir peur, sans même ressentir la longueur du temps, tant la forêt était belle et accueillante pour lui. Il marcha, jusqu’au moment où, une lumière plus vive perça la pénombre de la forêt. Il arrivait au terme de sa marche, il allait trouver ce qu’il était venu chercher.

Il y avait un grand arbre au milieu d’une immense clairière. Son tronc large et majestueux montait droit vers le ciel, enfonçant généreusement de larges racines qui disparaissaient dans la terre. Ses couleurs étaient douces et bienveillantes : celles de l’écorce brune et chaude, comme celles de ses feuillages verts et tendres.

Le petit garçon alla monter au sommet de l’arbre. C’est de cet endroit, lui avait dit son ange, qu’il pourrait découvrir toutes les beautés du monde, et guetter la venue de celle qui viendrait lui rendre l’amour. Et depuis, bercé la nuit par la brise qui faisait doucement onduler les branches, nourri le jour par les oiseaux qui lui apportaient de quoi boire et manger, il contemplait le monde, et il attendait.


Dans les hauteurs de l’arbre, une colonie de petits écureuils étaient devenus ses amis. Ils n’étaient pas comme tous ceux que nous connaissons dans nos parcs et nos forêts : ceux-ci avaient des pouvoirs magiques, dont le plus beau consistait à produire, avec l’écorce de l’arbre, une pâte molle qui se transformait en feuilles d’or.


Un jour, en une cérémonie émouvante, les écureuils vinrent tous ensemble en portant du bout de leurs bras levés une grande feuille d’or. Ils l’offrirent au petit garçon qui, émerveillé par son éclat, fut très surpris de voir que ses doigts, lorsqu’ils touchaient la feuille, pouvaient y écrire des lettres, des mots et des phrases qui brillaient et lui lançaient des reflets magnifiques.


Dès ce moment, il se mit à écrire toutes les beautés qu’il avait dans son cœur, tout l’amour qu’il avait pour sa maman, et l’attente de celle qui viendrait un jour libérer son cœur. Lorsqu’une lettre était finie, il pressait la feuille d’or contre sa poitrine qui battait alors très fort, avant de la lancer en l’air, soufflant de toute ses forces pour qu’elle s’envole très loin. Par miracle, dès qu’il avait confié sa feuille au vent, les écureuils lui en apportaient une nouvelle.


Il écrivait ainsi de nombreuses lettres, et chantait tout son amour avec des mots très beaux. Il savait qu’un jour, le vent bon de l’amour pousserait l’une de ses lettres d’or jusqu’à ce qu’elle tombe dans les mains d’une jeune femme. Ce serait elle, sa promise, sa bien-aimée, celle qui comprendrait à son tour, en lisant ses lignes d’amour, quel chemin elle devrait prendre pour venir le retrouver.

Tout cela, Églantine l’avait saisi dans son âme. Surtout, ce qu’elle avait compris, c’est que celle que le petit garçon attendait, c’était elle. Il ne fallait pas s’inquiéter, parce que dans le temps du cœur, toutes les choses vont beaucoup plus vite que nos jours et nos heures. Avec patience, elle devrait attendre que le temps soit venu, le coeur ouvert comme la fenêtre de sa chambre : Elle décida de ne plus jamais la refermer, en la laissant toujours au moins un peu entrouverte.


Un matin, la brise légère pousserait légèrement la vitre, et déposerait sur sa table une lettre d’amour étincelante de lumière, de poésie et de beauté : une feuille d’or. Aux premiers mots qu’elle lirait, elle reconnaîtrait la voix de son promis, son bien-aimé. Alors, elle irait à son tour pénétrer dans la grande forêt pour aller le retrouver.

Et toi, as-tu bien gardé entrouverte la fenêtre de ta chambre ?



Et voilà, l’histoire est finie. Il est temps maintenant d’appeler tous les anges et les bonnes fées pour t’envoyer la poudre d’or, celle qui endort les petits, et les grands !


À bientôt !




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